GILLES KOLFENTER
KARATEKA
NON VOYANT

Comme beaucoup de personnes, j’ai toujours pratiqué du sport, et ce, depuis l’âge de 7 ans. Ayant perdu la vue en 1993, je me suis senti inutile et bon à rien. En 1997, je pars m’installer en Anjou, et là, je reprends le judo. Mais pas très satisfait des cours, je décide d’arrêter. Et de m’inscrire au karaté. Sans savoir si c’était possible, je l’avoue !! Après l’étonnement suscité (en effet, un aveugle voulant faire du karaté, cela n’est pas très fréquent), je commence en septembre 2000. Rapidement, je rencontre des problèmes liés au handicap: le karaté n’étant pas un sport statique !

Les cours…

  • L’espace: se représenter dans l’espace est difficile pour un aveugle, entraînant un certain nombre de problèmes :
    Désorientation, sensation d’isolement, perte d’équilibre, travail avec un partenaire en mouvement.
  • L’équilibre: exécuter des coups de pieds dans le vide, sans repère visuel (hauteur, distances, trajectoire, sécurité) s’avère de même très difficile.
  • Les masses: en locomotion, on insiste pour que l’on ressente les masses au maximum, afin de se déplacer plus aisément, mais là… bonjour la galère !!!

Ressentir son environnement, son partenaire, est loin d’être évident. Au fur et à mesure des mois, cela se développe, et plus que je ne l’aurais imaginé. Bien écouter son partenaire en faisant abstraction des bruits environnants et une grande concentration favorisent cette sensation.

  • Les axes: 45°, 90°, demi-tour, ¼ de tour, cela ne me parlait plus guère.
    Grâce aux katas, j’ai redécouvert les déplacements. Une fois les axes bien ancrés, cela aide également lors des déplacements en kumité (combats).
  • La sécurité: soyons clair, un aveugle faisant un kumité avec un valide peut être risqué, pour l’un comme pour l’autre.
    Le valide doit agir comme avec un autre partenaire, mais doit s’adapter à la personne aveugle (niveau, technique, vitesse de déplacement, temps de réaction, etc …).
    De même, le karatéka aveugle doit veiller à ne pas blesser son partenaire (de par des gestes désordonnés, un manque de concentration, une assurance trop exacerbée, etc).
    Personnellement (et je touche du bois), je n’ai jamais blessé qui que ce soit. A savoir que faire 3 ou 4 kumités d’affilée est très difficile car cela exige une concentration extrême. Au-delà, cela m’est physiquement impossible, car trop épuisant.
  • La concentration: elle doit être à 200 % à chaque instant afin de suivre les cours, l’exécution des katas ou les kumités.
  • Le tactile: lors de l’apprentissage des postures, des katas, le professeur ne doit pas hésiter à donner plus d’explications à l’élève. Le remettre en bonne posture en le corrigeant tactilement, avec les mains, les pieds et faire toucher son propre corps afin que l’élève aveugle ait une représentation globale de la posture.

TOUS les points développés ci-dessus ne font qu’un, et sont tous liés les uns aux autres. En dissocier un des autres serait une erreur !!!


Le DIF

Après l’obtention du 1er Dan, le DIF.
Surprise ! Un aveugle se présente comme candidat, cela n’a pas été forcément très simple.En effet, n’ayant pas de matériel informatique, j’ai du utiliser la bonne vieille Perkins, et le guide main (afin de pouvoir rendre mes devoirs en noir).
Un peu isolé par les collègues, ceux-ci s’ouvrent enfin après mon intervention handikaraté (obligatoire pour les futurs DIF ou BE).
Intervention de 2 heures (en théorie), car cela est difficile à faire accepter dans certaines ligues, ou par certains responsables des cadres ;
A ce sujet, la présidente de la commission nationale handikaraté a dû intervenir afin que cette intervention ait lieu (20 min contre 2 heures) mais cela a permis à mes collègues de se dérider et de m’accepter en tant que karatéka !

  • Les cours: la pratique ne me posait aucun problèmes, pour les prises de notes, je me débrouillais en braille. Par contre, je recevais mes devoirs en noir et je devais faire appel à une personne valide afin de me les lire.
  • Exécution d’un devoir:
    • Un brouillon en braille, plus ou moins long selon le devoir.
    • Une copie en braille, propre et terminée.
    • Une retranscription en noir, exécutée par une personne valide, car mon écriture noire n’est pas spécialement lisible ni propre.
  • L’anatomie: très difficile, car la lecture des planches d’anatomie était impossible, aucun support n’était à ma portée (dictionnaire, internet, dessins divers,…). D’où l’achat d’un Nestor (squelette en plastique), offert par une amie infirmière, qui a dû subir un grand nombre d’appels téléphoniques et qui est venue me voir une semaine afin de me faire travailler l’anatomie (tactilement sur le Nestor)
    Pour information, un travail exécuté en 1h par un valide me prenait facilement 2h à 2h30 de plus.
  • L’examen: le passage s’est parfaitement déroulé, j’ai bénéficié du ¼ temps supplémentaire obligatoire pour tout handicap.

Depuis, j’enseigne dans le club de Mazé (49), 55 à 60 élèves (baby, enfants, ados, adultes) soit 9 heures par semaine.


Conclusion

Le karaté m’a permis de développer mes sens au-delà de mes espérances, et je continue de travailler à fond, à effectuer un maximum de stages afin d’améliorer mes techniques, ma pédagogie et surtout à mettre à l’épreuve mes sens afin de les améliorer encore et encore. Sur le tatami, j’oublie mon « handicap » et m’épanouis complètement. Merci au karaté et à tous ceux qui m’ont soutenu de près ou de loin. Ne jamais baisser les bras, aller au bout de soi-même, le handicap ne me fait pas de cadeaux, je ne lui en ferai pas non plus.

FATAH SEBBAK
KARATEKA EN FAUTEUIL ROULANT

Entraîneur handi karaté, Diplôme d’Instructeur Federal
Ceinture noire 2e Dan
Fatah34@hotmail.com

Je m’appelle Fatah SEBBAK né à Alger le 28-09-78, j’étais passionné des arts martiaux. A l’âge de 8 ans, j’ai commencé la pratique de karaté. A 12 j’étais déjà ceinture noire 1ère dan. J’ai participé à plusieurs championnats kata et kumité, individuel et par équipe avec des résultats en compétition :

  • plusieurs fois champion interligne en kata par équipe et kumité individuel.
  • 1997 : 4 places champion d’Algérie par équipe kata où j’étais sélectionné pour l’équipe nationale algérienne.

Mais dans la même année je me suis retrouvé dans un fauteuil roulant, paraplégique ou paralysé du membre inférieur et tous mes rêves de karateka détruits.
En 2002 un animateur de l’APF (Association des Paralysés de France) m’appelle pour me mettre en contact avec une personne qui donne des cours de karaté pour personnes handicapées. C’est à partir de cet instant que ma pratique de Karatéka a débuté.

Le Karate et la handicap

Pour moi reprendre le karaté va me permettre de réaliser mes rêves.
Ainsi, j’ai découvert une richesse inimaginable ; la pratique de karaté en fauteuil roulant me permettant de me dépasser physiquement et mentalement.
Physiquement : j’ai remplacé mes heures de rééducation que je trouvais répétitives (3 fois par semaine minimum, pendant 3 ans) par un art complet.
Le Karaté me permet de mobiliser tout le corps avec des techniques simples, accessibles à toute personne, de réaliser une pratique respiratoire et de maîtriser les douleurs neurologiques que connaissent les personnes paraplégiques.
En effet j’ai découvert qu’avec la concentration et avec le travail respiratoire on arrive à résister à la douleur même parfois à l’oublier. Cette approche me permet de limiter la prise de médicament et d’ainsi me sentir mieux.
Mentalement : pour moi le respect des autres est un élément essentiel, ainsi que d’être zen dans la vie. Parvenir « à crever cet abcès de dire qu’être dans un fauteuil est une punition de dieu », et penser à réaliser ses rêves car avec la motivation on peut déplacer des montagnes, profiter de ce qui est possible car souvent le vrai handicap est dans la tête pas dans les jambes.
Essayer d’aller vers la voie ; un corps sain avec un esprit zen ce malgré le handicap. Ma pratique est divisée en trois catégories :

  • handi karaté traditionnel :
    Dans cette partie, on travaille les mêmes éléments qu’une personne valide c’est à dire les katas. .Ceux ci sont adaptés au handicap ; toutes les techniques de jambes sont remplacées pardes techniques des membres supérieurs .Les adaptations doivent être bien expliquées et démontrées en Bunkai.
    L’esprit du Kata doit être respecté pour rester dans une cohérence de pratique Martiale.
    Le kumité est remplacé par le karaté jutsu (ou self défense) car les personnes handicapées sont demandeuses, cela permet de prendre plus confiance en soi-même et de connaître aussi des techniques pour se défendre en cas d’agression.
    Au niveau du kihon, on travaille toutes les techniques de base, blocages et attaques. Pour les déplacements deux possibilités, de face pour les attaques et à 45° pour les blocages.
  • handi karaté santé :
    Pour cette partie, on travaille le karaté à un rythme différent que le traditionnel. Le but de cette pratique est de remplacer la rééducation par des techniques appropriées, notamment de travailler les katas sur aspect respiratoire.
  • handi karaté loisir :
    Cette pratique est ouverte à toute personne qui présente un handicap lourd ou des difficultés à pratiquer les 2 catégories précédemment citées. On travaille le karaté à un rythme de loisir, par exemple faire des jeux de parcours…

Ma progession

En 2002 à la reprise du karaté j’avais envie de reprendre mes rêves de jeunesse. Un an après j’étais invité à rejoindre l’équipe de la commission handi karaté au sein de la FFKAMA, pour travailler sur le développement du handi karaté, à le rendre accessible pour tout handicap.
En 2003 j’ai décidé de passer mon D.I.F (diplôme instructeur fédéral). Après une saison d’étude j’ai réussi mon diplôme et j’ai crée ma section au sein de Montpellier club handisport où je donne des cours pour des personnes handicapées.
J’ai ainsi été récompensé par le département des sports en 2004 du prix entraîneur espoir 2004.
En 2006 j’ai réussi a passé mon 2éme dan.

Mes objectifs pour le futur

Objectifs en tant que responsable :

  • développement du handi karaté sur tout le territoire français pour tout personne qui voudra pratiquer ce sport
  • Participer à la formation des entraîneurs
  • Aider à améliorer l’accessibilité des lieux des dojos.
  • Mettre en place une compétition pour Karatekas handicapés si la demande apparaît..

Objectifs en tant qu’entraîneur

  • donner le meilleur de moi-même et transmettre mes connaissances à un large public pour que cette pratique se développe..

Objectifs en tant que pratiquant :

  • Obtenir mon BE, normalement pour la saison prochaine
  • essayer de passer le diplôme d’arbitrage et pourquoi pas participer à une compétition internationale en portant les couleurs de la France.

Les rêves sont faits pour se réaliser, avec handicap ou non, avec la volonté et le courage on pourra réalisé le rêve le plus fou. Après pour changer le regard des gens vers le handicap cela est plus difficile, il faut arriver à changer les mentalités. Je pense qu’il faut aller vers les personnes, leur parler, leur expliquer notre vie pour qu’il comprenne que nous sommes des personnes avant tout. Article réalisé avec la collaboration de Philippe Aymond. Juin 2006